Dans le cadre de sa formation universitaire en sociologie à l’université McGill , notre guide Jessie Leigh Vallée nous a préparé un essai sur l’impact de la grève de 1949 que nous vous présentons.
« Grève de l’amiante » : un tournant pour les travailleurs francophones
texte et recherche par Jessie Leigh Vallée, traduction par Laurence B. Rodrigue
Le Québec était un important exportateur d’amiante dans le monde au cours du 20e siècle. En effet, 80 % de la production mondiale était issue du Québec. L’amiante était largement utilisé pour ses propriétés ignifuges et pour la fabrication d’amiante-ciment, grandement recherché en construction. Bien que l’amiante ait été très utile et populaire, de nombreux problèmes de santé étaient liés à ce matériau, notamment l’amiantose et le cancer. De plus, les travailleurs ont connu de nombreuses inégalités au cours des années 1940 et les cadres se souciaient peu de la santé de leurs travailleurs (Van Horssen, 2012). Cette discrimination, au Québec, et les dangers de l’amiante sur la santé ont été des éléments centraux qui ont alimenté plusieurs conflits. Dans une tentative de se syndiquer et d’obtenir de meilleures conditions de travail, les mineurs d’Asbestos et de Thetford Mines se mettent en grève, en 1949, ce qui entraînera éventuellement de nombreux changements au Québec (Kucharsky & David, 2019). Malgré le peu de changements pour les travailleurs au départ, il s’agit d’un événement important dans l’histoire québécoise, car beaucoup disent qu’il a conduit à la Révolution tranquille (Marsh, 2019) et par conséquent, apporté des réformes sociales et politiques majeures.
Avant la grève, les postes de direction étaient majoritairement occupés par des anglophones, tandis que les francophones occupaient les postes moins hautement classés (Fenwick, 1982). Fenwick (1982) a mentionné que les Canadiens français du Québec avaient peu d’opportunités en termes d’éducation en raison de la prédominance de la religion dans leur culture. Par conséquent, ce traditionalisme limitait le capital humain dans lequel les francophones pouvaient investir (Fenwick, 1982). Le capital humain est décrit comme la formation et l’éducation dans lesquelles on investit, pour ensuite permettre une vocation attrayante (Krahn et al., 2020). Ainsi, comme les francophones n’avaient pas un accès égal à ce capital, ils étaient limités dans les possibilités d’emploi. Cela démontre la discrimination linguistique observée au Québec avant la grève. La barrière de la langue et, par conséquent, les inégalités vécues par les travailleurs francophones ont alimenté leurs frustrations. Cette discrimination linguistique peut être liée aux idées de Karl Marx sur la lutte des classes. Marx a observé comment la classe dirigeante exploitait la classe ouvrière (Krahn et al., 2020). Les gestionnaires exploitent les travailleurs en ignorant le danger que représentait l’amiante pour la santé, et ce, à des fins lucratives. Marx pense que la division du travail était simplement un moyen de gagner de l’argent sur le dos de la classe ouvrière, ce qui a conduit à des conflits (Krahn et al., 2020). Comme le mentionnait Pierre-Elliot Trudeau, les travailleurs étaient « exploités par la direction » (Kucharsky & David, 2019, para. 14). Par conséquent, selon la perspective de lutte des classes de Marx, les propriétaires ont exploité les travailleurs, pour plus de profit, ce qui a créé un conflit.
Les mineurs veulent de meilleures conditions de travail, surtout en ce qui a trait aux effets dangereux de l’amiante (Marsh, 2019) pour les travailleurs des mines. De plus, les gestionnaires accordent peu d’attention aux dommages causés par ce minerai et nient leur responsabilité face aux problématiques (Sells, 1994). L’entreprise ne voulait pas que l’amiante soit lié à la mort et à la maladie, car cela aurait un impact sur ses bénéfices (Van Horssen, 2012). Ainsi, la direction n’a pas reconnu les conditions de travail dangereuses, car le profit était plus important. Même si les gestionnaires ont affirmé que l’amiante n’était pas dangereux, il y avait des preuves que les travailleurs tombaient malades. À la suite d’une évaluation, il a été constaté que 704 468 mineurs seraient aux premiers stades de l’amiantose (Van Horssen, 2012). Par conséquent, les arguments des gestionnaires étaient invalides, car les éléments de preuve démontraient le contraire. Cela ajoute à la discrimination des travailleurs, puisque les gestionnaires n’ont pris aucune mesure pour assurer la sécurité. Comme l’expliquait Ven Horssen (2012), il y avait un manque de communication entre les deux groupes en raison de la barrière de la langue, ce qui faisait que les gestionnaires anglophones ne tenaient pas compte des demandes des travailleurs. Par conséquent, ce fossé linguistique a grandement contribué à leurs conditions de travail néfastes.
De plus, les mineurs souhaitaient des exigences de production plus réalistes. Après la Seconde Guerre mondiale, l’amiante était très demandé, en particulier pour la reconstruction de l’Europe grâce à l’amiante-ciment. Les mineurs avaient l’impression que le niveau de production exigé par leurs supérieurs était irréaliste ; cependant, leur requête fut refusée (Van Horssen, 2012). Comme mentionné ci-dessus, les dirigeants ont accordé une grande priorité au profit et à la production, ce que l’on peut encore observer ici.
Pour continuer, Maurice Duplessis, premier ministre du Québec à l’époque, s’est rangé du côté de la direction et a rendu les mouvements de grève illégaux (Marsh, 2019). Après une série d’événements violents, peu de choses ont changé pour les travailleurs. De nouveaux travailleurs ont été embauchés pour remplacer ceux en grève et leurs revendications n’ont pas été étendues (Marsh, 2019). Cependant, cette manifestation a contribué à d’importants changements politiques au Québec. La grève a amené les universitaires à remettre en question le gouvernement de Duplessis (Kucharsky & David, 2019). Ces remises en question entraîneront des changements politiques et culturels importants au Québec et seront une inspiration pour la Révolution tranquille de la décennie suivante (Marsh, 2019). Trudeau a mentionné que cette grève était « un tournant dans toute l’histoire religieuse, politique, sociale et économique… du Québec » (Kucharsky et David, 2019 para. 14). Par conséquent, bien que le mouvement social n’ait pas contribué à améliorer immédiatement les conditions de travail des mineurs, la grève a inspiré de grands changements.
Comme mentionné ci-dessus, la grève d’Asbestos et de Thetford Mines a marqué le début d’un mouvement politique qui a conduit à la Révolution tranquille. Cette révolution a apporté des changements aux inégalités observées auparavant. Les francophones ont désormais de meilleures opportunités d’éducation et d’emploi (Durocher, 2015), donc du capital humain. Ils peuvent avoir des opportunités similaires à leurs homologues anglais en matière d’éducation et de postes de direction (Durocher, 2015). Par conséquent, la grève d’Asbestos et de Thetford Mines a contribué à la diminution des conflits de classes entre les Français et les Anglais, ce qui a amélioré les conditions de travail, puisque les Français n’étaient plus discriminés sur leur lieu de travail. Cette grève a également permis une sensibilisation aux dangers de l’amiante pour la santé. L’industrie a continué à se dissocier de cette question ; cependant, dans les années 1970 à 1980, des actions ont été entreprises et les conditions de travail ont été améliorées (Van Horssen, 2012). Les sociétés minières, plus tard, étaient parmi celles offrant les emplois les mieux rémunérés au Canada (Rastello et Pearson, 2018). Par conséquent, cette grève a permis des mouvements qui ont conduit à de meilleures conditions de travail pour les travailleurs francophones.
Références
Durocher, R. (2015 March 4). Quiet Revolution. The Canadian Encyclopedia.